La présence d’arbres en milieu urbain est d’une grande importance, ils aident à lutter contre les ilots de chaleur et favorisent le bien-être des habitant·es. Mais veiller sur la santé des arbres en ville est un processus long et coûteux. Stéphane Krebs et l’HEPIA ont relevé un défi de taille: créer un système permettant de connaitre l’état de santé d’un arbre, en permanence et à distance.
Les arbres ont une importance fondamentale pour notre environnement, pour le climat, mais aussi pour le bien-être des humains. Ils contribuent à la biodiversité, à la qualité de l’air, à prévenir les ilots de chaleur en ville, à diminuer la pollution. La santé des plantes et des arbres fait partie intégrante de l’Agenda 2030 pour le développement durable et les politiques de gestion de la biodiversité évoluent, comme Lausanne qui planifie pour 2040 d’avoir 30% de couverture de canopée. Or, la situation des arbres en ville est complexe et ils peuvent même être source de danger pour les humains ou les bâtiments lorsqu’ils viennent à tomber. Pour garantir une bonne cohabitation avec les grands arbres en zone urbaine, il est donc essentiel de connaitre leur état de santé, afin de les soigner efficacement.
Une idée a germé
Stéphane Krebs dirige l’entreprise familiale, Krebs paysagistes SA fondée en 1937, et s’occupe entre autres des grands arbres pour lesquels il passe des heures sur les routes afin de s’assurer de leur état de santé. En 2016, il a une idée : il faudrait que les arbres puissent lui dire comment ils se portent, sans qu’il ait besoin de se déplacer. Il pourrait ainsi agir de façon préventive et se déplacer pour les arbres ayant un besoin urgent de soin. L’idée fait son chemin et deux ans plus tard, Stéphane Krebs décide de la concrétiser et de concevoir un dispositif de monitorage des arbres.
Il contacte les professeurs Éric Amos et Peter Gallinelli de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA) ainsi que Raphaël Conz du Service de la promotion de l’économie et de l’innovation (SPEI) du canton de Vaud. Ce dernier le dirige vers Robert van Kommer, conseiller en innovation d’Alliance, qui va soutenir l’équipe pour monter un projet Innosuisse. La rédaction du projet Innosuisse s’avère une tâche complexe et de longue haleine, mais le dossier est finalement déposé et accepté.
Robert van Kommer est quelqu’un d’enthousiaste qui a une grande expérience. Il a tout de suite compris le besoin, les attentes et le potentiel du projet.
Percevoir l’imperceptible
Une fois le financement assuré, la première étape était de déterminer quelles valeurs mesurer pour connaitre, en permanence, la santé, la vitalité et la stabilité d’un arbre. Si la mesure de la stabilité par les mouvements du tronc s’avère relativement aisée, la question a été beaucoup plus épineuse pour la vitalité. Après avoir envisagé plusieurs possibilités, c’est finalement la qualité de la photosynthèse ou indice de végétation par différence normalisée (NDVI), qui sera retenue comme valeur déterminante. Cet indice, défini par la capacité des feuilles à réfléchir la lumière, est un bon indicateur de la vitalité d’une plante, car dans tous les cas les feuilles sont touchées, notamment lors d’attaque de parasites, de maladies ou encore de stress hydrique par exemple. Cependant, la mesure de cet indice par télédétection s’effectue par-dessus les plantes avec des capteurs embarqués sur des satellites, ou des drones, tels que ceux employés pour l’agriculture. Le défi de la recherche a été de vérifier la faisabilité, d’acquérir la connaissance, puis de démontrer qu’il était également possible de mesurer avec toute la précision requise le NDVI sur la face inférieure des feuilles, depuis le pied de l’arbre.
Les résultats furent plus que probants puisque l’équipe a démontré que cela fonctionne également pour tous les types de feuillages, même les plus panachés et les plus pourpres. Cette découverte leur permet de concevoir un appareil innovant, qui restitue les mesures nécessaires à surveiller 24/24h la stabilité et la vitalité des arbres, et facile à mettre en place en milieu urbain. Placé à quelques mètres de hauteur sur le tronc, l’appareil est non intrusif et s’adapte à la croissance de l’arbre. Il effectue des mesures toutes les dix minutes et transmet une moyenne de ces données via le réseau LoRa – un réseau de faible puissance, respectueux de la biodiversité. Ces moyennes sont stockées dans des serveurs en Suisse et restituées au programme de monitorage sous forme de graphiques et de pictogrammes. Le système permet ainsi de voir facilement de nombreux éléments, tels que la pollution lumineuse de nuit ou le stress hydrique en fonction des épisodes de sécheresse.
Un projet de longue haleine
Les projets Innosuisse de l’ampleur d’Arbres connectés affrontent souvent de nombreuses épreuves. Prévu initialement sur deux ans, les facteurs externes – la pandémie de COVID et la pénurie de composants électroniques – vont retarder certaines étapes du projet. « Il faut s’accrocher pour y arriver, raconte Stéphane Krebs, avoir la volonté d’aller au bout ». L’équipe fait aussi face à des situations de blocage pour lesquelles Robert van Kommer a pu apporter un regard externe. « Il a toujours été présent au moment où nous en avions besoin, explique Stéphane Krebs ». Le développement technologique se termine enfin et l’innovation est brevetée. Il faudra encore une année de mesures sur une centaine d’arbres afin de valider les données transmises par l’appareil, en comparaison avec les événements météorologiques par exemple.
Les résultats sont concluants et le système est maintenant prêt à être commercialisé. Pour pouvoir lancer la fabrication à plus grande échelle, Stéphane Krebs a aujourd’hui besoin de trouver des client·es. Dans une démarche d’écoresponsabilité et de durabilité, il ne souhaite pas d’investisseurs financiers, mais un préfinancement par les acheteur·euses. Les appareils sont fabriqués en partie avec des composants recyclés, en Suisse romande où les données sont aussi stockées et analysées. Et si le projet Arbres connectés amène une nouvelle approche de la santé des arbres en ville, il peut aussi être déployé dans d’autres espaces, tels que forêts, cultures fruitières ou viticoles.
Ce projet ouvre la voie à de nouvelles compréhensions de nos amis les arbres, à un meilleur dialogue et à une cohabitation plus respectueuse entre les humains et les plantes.
Krebs paysagistes en bref
Fondation : 1937
Siège social : Blonay
Équipe : 20 – 25 collaborateur·ices
Compétences : Création et entretien de jardins et d’aménagements paysagers, planification et conception, architecture de paysages, soins aux grands arbres, amélioration et valorisation de la biodiversité.
Site Internet : arbres-connectés.ch, krebs-paysagistes.ch